Des fruits toujours vivants dans l’Église d'aujourd'hui
Le renouveau de Cîteaux est à la charnière des deux millénaires de l’histoire de l’Église : en profonde continuité avec les pères des premiers siècles, mais aussi en prise avec les prémices des évolutions du second millénaire. Dans la spiritualité cistercienne, on peut se sentir en communion avec les chrétiens de tous les temps.
Exprimer l’expérience
Les auteurs cisterciens, et en particulier Saint Bernard, donnent leurs lettres de noblesses à l’expérience personnelle comme source de vérité et de rencontre avec Dieu. Notamment dans ses sermons sur la préparation de Noël (sermon 5 sur l’Avent). Comme ceux qui l’ont précédé, Saint Bernard présente l’Avent comme la mémoire des deux venues du Christ : l’incarnation dans le passé et le retour glorieux pour l’avenir.
Dans le premier avènement le Christ a été notre rédemption,
lors du dernier, il apparaîtra comme notre vie.
Et il ajoute à cette lecture classique un troisième avènement, dans l’aujourd’hui de celui qui prie.
Dans l’avènement du milieu, il est notre repos et notre réconfort.
Cette introduction de la subjectivité dans la prière reste équilibrée puisqu’elle est essentiellement écoute de la Parole, c’est-à-dire rencontre interpersonnelle. Nous nourrir chaque jour de la Parole dans la lectio divina, voilà notre repos et notre réconfort.
Affectus
La spiritualité cistercienne enracine l’expression affective de la foi dans la longue histoire de l’Eglise : c’est en raison de son amour et par son amour que Dieu sauve le monde. Cet amour a pris une forme humaine et peut s’exprimer à travers des sentiments humains. Ce sont là les racines de la dévotion au Sacré-cœur qui a tant marqué les siècles suivants. Les pères cisterciens invitent donc à rencontrer Jésus dans son humanité, en particulier dans sa Passion, par la médiation des Écritures et l’obéissance.
Pour panser les plaies de la conscience et purifier la pointe de l’intelligence, rien n’est aussi efficace que la constante méditation des blessures du Christ.
Et pourtant, cette méditation est joyeuse et lumineuse : elle doit rendre l’âme belle "pour que son œil intérieur soit guéri et puisse contempler à découvert la gloire de Dieu." L’austérité des observances monastiques donne leur poids de vérité à cette habitation dans l’humanité du Christ, jusqu’à former le Christ en soi, à l’image de la Vierge Marie.
En attendant de paraître devant ta face, que mon âme demeure au nid de ta discipline, dans les fentes du rocher.
Ecclésiologie de communion
Voilà un terrain peu exploré : le droit canonique est une affaire de mystique et d’amour !
Lorsque les premières fondations se mettent en place, les cisterciens doivent répondre à une question déterminante pour la suite : à travers les épreuves de l’installation, ils ont reçu un trésor de vie fraternelle. Comment continuer à vivre cette communion alors que le nombre des frères impose de vivre en des lieux différents ?
La recherche d’une réponse à cette question conduit à la rédaction de la charte de charité, première constitution de l’ordre. Il s’agit de construire des institutions pour vivre l’amour selon un nouveau modèle de relations : les maisons de l’ordre auront entre elles des liens de filiation et de fraternité, tous les frères de l’ordre mèneront un genre de vie semblable afin de former "un seul esprit dans plusieurs corps".
Chaque maison est un lieu de communion entre les frères, et l’ordre lui-même est une communion de communions. L’assemblée du chapitre général, et non pas une personne particulière, exerce l’autorité dans tout l’ordre.
C’est une manière d’assumer le paradoxe biblique : l’amour est un commandement, il s’exprime dans une loi. Par la charte de charité, les cisterciens peuvent s’exclamer avec l’Épouse du Cantique des cantiques :
Il a ordonné en moi l’amour.
Ce nouveau modèle institutionnel est en fait très traditionnel, mais il n’avait jamais été utilisé dans les ordres religieux. L’Église elle-même peut se comprendre comme communion de communions, cherchant sans cesse un équilibre entre les institutions d’unité (papauté, concile, normes communes) et la vie locale (les diocèses, les paroisses).